Le 17 novembre 2020 la Cour d’Appel de Grenoble prononce un arrêt majeur en matière de procédure de reconnaissance d’accident du travail.
En la matière, en cas de réserves motivées par l’employeur, ou de sa propre initiative, la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie) effectue une enquête, soit sur la base du questionnaire adressé à la victime et à son employeur, soit en faisant procéder à de véritables investigations par l’un de ses inspecteurs.
A l’issue de cette enquête administrative, et avant de prendre sa décision, la caisse doit inviter les parties à venir consulter le dossier qu’elle a constitué et, dans le même temps, informer chacun sur les éléments recueillis et susceptibles de faire grief.
Mais que se passe t-il si cette formalité n’est pas respectée ?
Les faits de l’espèce sont les suivants :
Une assistante commerciale a déclaré un accident du travail consécutivement à un entretien intervenu avec sa responsable régionale, durant lequel elle s’est vue reprocher un « mauvais rendement » par sa responsable, qui a jugé utile de faire intervenir une collègue de travail afin d’appuyer ses dires.
« A compter de ce jour-là, je me suis sentie surveillée car chaque fois que l’occasion se présentait les critiques fusaient de l’une et de l’autre. Tu n’as pas tenu tes objectifs : tu vas recevoir un courrier pour te signaler qu’il faudra faire un effort… ».
Durant son congé annuel, elle recevait de sa direction le mail suivant : « Pas de communication avec les collègues = débrouilles toi seule chez toi pour te mettre à jour ».
Peu de temps après, un matin, elle ressent ceci :
« après une nuit agitée, sans sommeil, je n’ai pas pu me lever comme pétrifiée mon cerveau voulait mais mon corps ne pouvait plus obéir et dans la journée mon mari m’a accompagnée chez mon médecin : j’étais une loque, j’étais prostrée, crispée, ralentie physiquement, mon cerveau vide ».
En raison du délai de prescription intervenant, nous saisissons la CPAM, par une télécopie, d’une demande de reconnaissance d’accident du travail.
A l’issue de l’enquête administrative, la CPAM refuse la reconnaissance d’accident du travail, suivie en cela par la commission de recours amiable, en ces termes, assez classiques en matière de décompensation psychologique :
« Cet accident n’entre pas dans le champ d’application de l’article L411-1 du Code de la sécurité sociale pour le motif suivant :
Il n’existe pas de preuve que l’accident invoqué se soit produit par le fait ou à l’occasion du travail, ni même de présomption favorable précises et concordantes en cette faveur.
Selon la jurisprudence constante, l’accident de travail est caractérisé, soit par un fait soudain entraînant une lésion de l’organisme, soit par une brusque apparition au temps et au lieu du travail d’une lésion de l’organisme révélée par un malaise soudain ».
Sur le fonds, nous ne pouvions souscrire à une telle motivation.
En effet, il est de jurisprudence constante que, constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci, étant de surcroît observé « qu’un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu’il est survenu par le fait du travail » [1].
Ainsi, dès lors qu’elle a constaté qu’une dépression nerveuse était apparue soudainement deux jours après un entretien, la cour d’appel était fondée à en déduire qu’il s’agissait d’un accident du travail [2].
La Cour de cassation rejette ainsi le moyen, avancé par la caisse, selon lequel
« ne peuvent être prises en charge au titre de la législation professionnelle que les lésions physiques apparues brutalement au temps et au lieu du travail ».
Nous engagions alors un recours devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (devenu depuis Pôle Social du Tribunal Judiciaire).
Nous soutenions notamment l’argumentaire suivant :
En vertu de l’article R441-11, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale,
« en cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès ».
Et, selon l’article R441-14 du même code, « dans les cas prévus au dernier alinéa de l’article R441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l’article R441-13 » dudit code.
Le Tribunal qui rejeta le recours, tant sur cet argument de procédure que sur le moyen tiré, au fonds, du caractère professionnel de la décompensation psychiatrique.
Devant la Cour, nous articulions ainsi la critique du jugement :
D’une part, le jugement déféré retient que
« la CPAM produit toutefois aux débats la copie de la lettre du 07 septembre 2015 relative à l’accident du travail du 10 janvier 2013, informant l’assurée de la fin de l’instruction et de la possibilité de venir consulter le dossier préalablement à la décision à venir ».
Cependant, la CPAM de L’Isère n’a jamais produit l’accusé de réception correspondant.
Il s’ensuit que, faute pour la CPAM de L’Isère de rapporter la preuve de la réalité et de la conformité de l’information de l’assurée sociale, la « notification de refus de prise en charge » datée du 28 septembre 2015 devait être déclarée inopposable à la requérante ;
D’autre part, le jugement déféré retient que « la sanction d’inopposabilité de la procédure de prise en charge, en cas d’inobservation par la caisse des règles d’information a été dégagée par la jurisprudence exclusivement à l’égard de l’employeur et non dans les rapports caisse-assuré ».
Cependant, la victime a produit une circulaire de la Cnamts « sur le respect du contradictoire dans l’instruction de la reconnaissance du caractère professionnel des accidents et des maladies », dont il ressort :
« 1.3. La sanction juridique du non-respect du contradictoire dans l’instruction
Dans la mesure où le contradictoire dans l’instruction apparaît comme une formalité substantielle, chacune des « parties » peut invoquer, lorsqu’il y a lieu, son non-respect pour faire reconnaître que la décision de la caisse lui est inopposable. (…) Enfin, une victime peut s’estimer lésée par une décision prise sans qu’elle ait pu bénéficier des garanties présentées par le contradictoire, et attaquer cette décision ».
Dès lors que l’inopposabilité de la décision de refus de prise en charge s’étend aux décisions subséquentes qui sont susceptibles d’être prises sur son fondement [3], la décision de la Commission de Recours Amiable ne saurait davantage produire effet à l’encontre de la requérante.
Aucune décision explicite n’étant, ce faisant, intervenue dans le rapport assurée/caisse de sécurité sociale, il y avait lieu de considérer, en vertu de l’article R441-10, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale, « qu’en l’absence de décision de la caisse dans le délai prévu …, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu ».
C’est ainsi qu’est intervenu l’arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble qui a fait droit à l’argumentation en motivant ainsi sa décision :
« La CPAM de l’Isère était donc tenue d’instruire contradictoirement la demande présentée par son assurée et, avant de décider de prendre ou non l’accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels, de communiquer à L’assurée, au moins dix jours francs la décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, une information sur les éléments recueillis et susceptibles de lui faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier d’instruction.
Or la CPAM de l’Isère s’avère dans l’incapacité de justifier ni de la réception, ni même de l’envoi de la lettre recommandée qu’elle prétend avoir adressée le 7 septembre 2015 pour avertir L’assurée qu’elle avait la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier avant la décision annoncée comme devant intervenir le 27 septembre 2015.
Faute pour la CPAM d’apporter la preuve de s’être libérée de son obligation d’information préalable à l’égard de son assurée, doit être retenue l’atteinte qui lui est reprochée au caractère contradictoire de l’instruction de la demande en reconnaissance de l’accident de travail.
Cette inobservation du principe de la contradiction rend la décision de refus de prise charge, que la CPAM intimée a néanmoins prise le 28 septembre 2015, et la décision par laquelle la commission de recours amiable l’a maintenue, inopposables à l’assurée appelante en violation des droits de laquelle elles ont été irrégulièrement prononcées.
En l’absence de décision régulière et opposable, intervenue dans le délai de trente jours qui était imparti à la CPAM intimée à compter de la réception de la déclaration d’accident de travail et du certificat médical, et qu’elle a prolongé de deux mois le 12 août 2015, L’assurée est bien fondée à se prévaloir d’une reconnaissance implicite du caractère professionnel de l’accident qu’elle a déclaré.
La CPAM de l’Isère sera donc tenue, nonobstant l’opinion des premiers juges, de prendre en charge l’accident déclaré survenu le 10 janvier 2013 comme étant constitutif d’un accident de travail »…
source: https://www.village-justice.com/articles/accident-travail-respect-contradictoire-cpam,38097.html
Me Hervé GERBI, avocat spécialisé en dommages corporels et droit (corporel) du travail
Diplômé de psychocriminalistique.
https://www.victimesetprejudices.fr